Camp 4 ✅

Mercredi 17 mai 2023.

Montée sous oxygène au camp 4, le fameux « col Sud ».

À propos de Sherpas, seuls deux sur 4 sont avec nous. Les deux autres, Ningma et Fury, les plus forts, les plus expérimentés, sont restés au camp 2. Ils nous retrouveront en pleine nuit et leur arrivée doit sonner le signal de notre départ matinal vers le camp 4, « vers 4 heures » nous indiquent les Sherpas. À 4h00, Tchimy nous réveille : ils faut se préparer. Nous nous habillons sans stress et à 4h30 Ningma et Fury arrivent déjà. Nous ne sommes absolument pas prêts ! D'autant qu'il faudra encore du temps, presque 2 heures pour faire fondre la neige qui composera nos boissons du jour. Ce n'est qu'à 6h30 (comme tout va lentement, comme le temps file, à cette altitude) que je suis enfin prêt. Guillaume a entendu des gens commencer à monter depuis 2 heures du matin, et, depuis que nous sommes réveillés, c'est le défilé devant notre tente. Il y a déjà des dizaines de grimpeurs pendus sur l'unique corde fixe au dessus de nous ! Guillaume fait un choix radical que ni moi ni les Sherpas ne sommes prêts à faire : se recoucher et attendre que la foule avance avant de s'engager dans la pente. Comme il voudra, moi je décide de partir sur le champ. Nous nous retrouvons vite au milieu de l'immense queue-leu-leu qui s'étire maintenant du camp 3 au camp 4. Grace à Fury et Ningma, j'arrive à doubler de longues files de grimpeurs quasiment arrêtés. Sur une suggestion des Sherpas, j'ai fini par laisser mon piolet au camp 3. Ils pensent que ça m'alourdit et que ça ne sert pas à grand chose de l'avoir. Guillaume qui me répète depuis des semaines que c'est un élément d'autonomie et donc de sécurité ne dit rien. J'abandonne les 356 grammes d'aluminium et d'acier entre les deux tentes. En effet, avec un Sherpas qui ouvre la voie, l'usage du piolet est moins intéressant. Je le suis et nous arrivons à doubler sans difficulté. J'ai réglé mon débit d'oxygène sur 1,75 litres/minute, soit un tiers du maximum. Pour l'instant, ça me suffit amplement. Après deux heures de montée, en traversant vers les Bandes Jaunes, nous croisons un corps pétrifié par le gel. C'est affreux car le malheureux est en plein sur la trace et il nous faut l'enjamber pour poursuivre. J'apprendrai plus tard qu'il s'agit d'un porteur d'altitude de la région du Makalu qui, deux jours plus tôt, est mort ici d'épuisement ou du mal aigu des montagnes en aidant au sauvetage d'un capitaine de l'armée népalaise qu'il avait secouru depuis plus de 8 500 mètres d'altitude. C'est un second choc. Il faut se dire qu'il n'y a plus rien à faire, le décès date de plusieurs jours. Il faut se blinder et continuer en redoublant de vigilance : l'avertissement est on ne peut plus clair.

Le passage des bandes jaunes est laborieux au milieu de la foule. Bientôt nous débouchons sur de longues traves en traversée ascendantes qui doivent nous mener à l'Eperon des Genévois. Nous passons sous la dizaine de tentes qui compose le ''minuscule'' camp 4 de la voie normale du Lhotse. Pour eux plus que 700 mètres d'efforts et ce sera le sommet. Pour nous la valse continue.

13 heures - Après 6 heures 30 d'effort, nous arrivons au camp 4, une vaste étendue pelée par le vent permanent qui y souffle. Une mauvaise surprise m'attend : il nous faut encore monter nos tentes ! Ce sera une demi-heure debout, à attendre dans le froid. En effet, je ne peux guère aider mes Sherpas qui à 4 sont déjà largement assez nombreux. Dès qu'une première tente est montée, je me jette dedans, à l'abri. Quelques dizaines de minutes plus tard, j'entend la voie de Guillaume. Parti à 9h30, trois heures après nous, le voilà déjà là. Il n'aura mis que quatre heures pour doubler, lui aussi une centaine d'autres grimpeurs plus lents. Il me raconte sa montée avalée avec 3 l/min d'oxygène et nous partageons nos impressions. Lui aussi a été choqué par la vision du Sherpa gelé. Il m'avoue avoir pensé à faire demi-tour à cet instant.

Dans les Bandes Jaunes, vers 7 700 m, il a pris de grands risques pour doubler des grappes de grimpeurs quasiment immobiles en utilisant les cordes fixes rouges, celles de l'an passé. Son piolet lui a été d'un grand secours, mais je doute d'avoir envie de prendre les risques de telles acrobaties. Nos bouteilles d'oxygène devant servir à la montée au camp 4 n'étant pas encore vide, nous les ''têtons'' avidement en sirotant une soupe chaude préparée par les Sherpas. Nous nous assoupissons dans nos duvets. Quand je pense que nos Sherpas nous ont demandé si nous voulions absolument avoir ces sacs de couchage au camp 4 ! Même si nous n'y passons que quelques heures, je pense que c'est un confort essentiel pour récupérer. Quant à une éventuelle mauvaise surprise qui nous coincerait là quelques heures de plus, ce serait juste indispensable de les avoir. Tandis que je cherche à dormir le plus possible, j'entends que Guillaume s'agite. Il est rendu nerveux par le monde qui nous entoure. Il me répète de nouveau qu'il voulait absolument éviter ces journées de rush où de très nombreux grimpeurs seraient présents. C'est manifestement raté et ça l'inquiète pour ce qui nous attend cette nuit où les possibilités de doubler voire de croiser seront encore plus limitées qu'aujourd'hui. Pour ma part, je reste sur ma ligne : nous tentons le sommet dès que la possibilité et la météo se présentent sans se soucier de la foule. En effet, si ce n'est un pari encouragé par les statistiques, nous n'aurions aucune réelle garantie que les jours suivants la météo se maintiendrait au beau ni que d'autres vagues de surfréquentation ne se présenteraient pas. Guillaume et les Sherpas se mettent alors d'accord pour partir très tôt pour le sommet en nous tenant prêts pour 19 heures. ''Trop'' tôt même en théorie. Car les départs les plus précoces se font en général vers 20/21 heures. Avant, on a la quasi certitude d'arriver au sommet en pleine nuit, ce qui est assez dommage... Mais la phobie des embouteillages l'emporte et nous nous décidons pour 19 heures, quitte à reporter si les autres équipes ne bougent pas.

Cette décision engendre bientôt un autre sujet d'énervement pour mon compagnon de tente. Il est déjà 16h30 et l'eau chaude qu'il réclame à nos Sherpas qui manipulent le réchaud n'arrive pas. Or, le répète-t-il avec agacement, à cette altitude, boire est plus important que dormir. À bout, il sort de la tente et décide de s'occuper lui-même de la tâche. En effet, Passang, de corvée de fonte de neige, ne faisant tourner qu'un seul des deux réchauds, nous ne risquions pas d'avoir notre précieuse eau prête à temps. Guillaume va donc passer les deux heures qu'il lui reste avant le départ à faire fondre de la neige plutôt qu'à se reposer... Peut-être est-ce qui va lui coûter le sommet ? Nous ne le saurons jamais.

18h00. Je tente toujours de somnoler. Guillaume sorti pendant que l'eau chauffe me hèle pour m'avertir que le coucher de soleil à 8000 sur le col Sud est fantastique. Résolu à m'en tenir à ma stratégie de récupération et de ne pas brûler la moindre calorie inutilement, je reste allongé au chaud. Tant pis pour le spectacle, je profiterai de ses photos au retour !

18h45. Cette fois c'est du sérieux, Guillaume nous annonce que plusieurs dizaines de grimpeurs sont déjà en route et que de très nombreux autres sont déjà hors des tentes en train de se préparer. Le scénario d'un apaisement ne se concrétise pas vraiment : tout le monde a décidé de partir avant tout le monde. Branle-bas de combat. Il faut s'habiller, mettre les semelles chaufferettes au fond des chaussures et préparer le baudrier. Heureusement que toutes nos gourdes sont pleines d'un breuvage chaud. Rien que ces préparatifs élémentaires nous prennent 40 minutes et à 19h30 nous voilà dehors. L'excitation est palpable malgré les lourdes combinaisons en duvet et les masques qui nous séparent. Tels des cosmonautes en sortie spatiale, nous nous étreignons et nous souhaitons bonne chance. Bientôt... C'est parti !  ».

© Récit et Photos : Guillaume Vallot - droits réservés

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🇬🇧 ENGLISH VERSION

Wednesday, May 17, 2023.

Ascending with oxygen to Camp 4, the famous "South Col."

Speaking of Sherpas, only two out of four are with us. The other two, Ningma and Fury, the strongest and most experienced ones, stayed at Camp 2. They will join us in the middle of the night, and their arrival should signal our early departure towards Camp 4. "Around 4 o'clock," the Sherpas tell us. At 4:00 a.m., Tchimy wakes us up: we need to get ready. We dress without haste, and by 4:30 a.m., Ningma and Fury have already arrived. We are not at all prepared! Especially since it will take more time, almost 2 hours, to melt the snow that will make up our drinks for the day. It's only at 6:30 a.m. (how everything goes slowly, how time flies at this altitude) that I am finally ready. Guillaume heard people starting to climb since 2 a.m., and since we woke up, there has been a procession in front of our tent. There are already dozens of climbers hanging on the single fixed rope above us! Guillaume makes a radical choice that neither I nor the Sherpas are ready to make: to go back to sleep and wait for the crowd to move forward before engaging in the slope. As he wishes, I decide to leave immediately. We quickly find ourselves in the middle of the immense queue that now stretches from Camp 3 to Camp 4. Thanks to Fury and Ningma, I manage to overtake long lines of almost stationary climbers. Upon the Sherpas' suggestion, I ended up leaving my ice axe at Camp 3. They think it weighs me down and doesn't serve much purpose. Guillaume, who has been telling me for weeks that it is an element of autonomy and therefore safety, says nothing. I abandon the 356 grams of aluminum and steel between the two tents. Indeed, with a Sherpa leading the way, the use of the ice axe is less useful. I follow him, and we manage to overtake without difficulty. I have set my oxygen flow rate to 1.75 liters per minute, which is one-third of the maximum. For now, it's more than enough for me. After two hours of climbing, as we cross towards the Yellow Band, we come across a body frozen by the cold. It's horrifying because the poor soul is right on the trail, and we have to step over him to continue. I will later learn that he is an altitude porter from the Makalu region who died here from exhaustion or high-altitude sickness two days ago while assisting in the rescue of a Nepalese army captain whom he had saved from above 8,500 meters. It's a second shock. We must acknowledge that there is nothing more to be done; the death occurred several days ago. We have to toughen up and continue with increased vigilance: the warning couldn't be clearer.

Passing through the Yellow Bands is laborious amidst the crowd. Soon, we emerge onto long ascending traverses that are supposed to lead us to the Geneva Spur. We pass below the ten or so tents that make up the "tiny" Camp 4 of the normal route to Lhotse. For them, only 700 more meters of effort, and they will reach the summit. For us, the dance continues.

1 p.m. - After 6 hours and 30 minutes of effort, we arrive at Camp 4, a vast expanse stripped bare by the constant wind that blows there. An unpleasant surprise awaits me: we still have to set up our tents! It will be half an hour standing, waiting in the cold. Indeed, I can hardly help my Sherpas, who are already four and more than enough. As soon as the first tent is set up, I throw myself inside, seeking shelter. A few tens of minutes later, I hear Guillaume's voice. He left at 9:30 a.m., three hours after us, and here he is already. It only took him four hours to overtake, along with a hundred other slower climbers. He tells me about his ascent, done with 3 liters per minute of oxygen, and we share our impressions. He, too, was shocked by the sight of the frozen Sherpa. He admits that he thought about turning back at that moment.

In the Yellow Bands, around 7,700 meters, he took great risks to overtake clusters of almost motionless climbers by using the red fixed ropes from last year. His ice axe was of great help to him, but I doubt I want to take the risks of such acrobatics. Our oxygen bottles, which are intended for the climb to Camp 4, are not empty yet, so we eagerly "suckle" them while sipping a hot soup prepared by the Sherpas. We doze off in our sleeping bags. When I think that our Sherpas asked us if we absolutely wanted to have these sleeping bags at Camp 4! Even if we only spend a few hours there, I believe it is essential for recovery. As for a potential unpleasant surprise that would trap us there for a few more hours, it would be absolutely necessary to have them. While I try to sleep as much as possible, I hear Guillaume getting restless. He is nervous about the crowd surrounding us. He repeats again that he absolutely wanted to avoid these days of rush where many climbers would be present. Obviously, he failed, and it worries him for what awaits us tonight, where the possibilities of overtaking or crossing paths will be even more limited than today. As for me, I stick to my plan: we attempt the summit as soon as the opportunity and weather present themselves, without worrying about the crowd. Indeed, other than a gamble encouraged by statistics, we have no real guarantee that the weather will remain good in the following days or that additional waves of overcrowding won't occur. Guillaume and the Sherpas then agree to leave very early for the summit, with us getting ready by 7 p.m. "Too" early, even in theory. Because the earliest departures usually take place around 8 or 9 p.m. Earlier than that, there is a high likelihood of reaching the summit in the middle of the night, which is quite a pity... But the fear of congestion prevails, and we decide on 7 p.m., even if we have to postpone if the other teams don't move.

This decision soon leads to another source of irritation for my tentmate. It's already 4:30 p.m., and the hot water he requests from our Sherpas, who are handling the stove, is not coming. He repeats, with annoyance, that at this altitude, drinking is more important than sleeping. Fed up, he exits the tent and decides to take matters into his own hands. Indeed, Passang, in charge of melting snow, is only operating one of the two stoves, so we weren't going to get our precious water ready in time. Guillaume will spend the remaining two hours before departure melting snow instead of resting... Perhaps this will cost him the summit? We will never know.

6 p.m. I still attempt to doze off. Guillaume, having gone outside while the water heats up, calls out to alert me that the sunset at 8,000 meters on the South Col is fantastic. Determined to stick to my recovery strategy and not burn a single calorie unnecessarily, I stay lying down in the warmth. Too bad for the spectacle, I will enjoy his photos upon our return!

6:45 p.m. This time it's serious. Guillaume informs us that several dozen climbers are already on their way, and many others are already outside their tents getting ready. The scenario of a calm departure doesn't really materialize: everyone has decided to leave before everyone else. A flurry of activity ensues. We need to get dressed, put the foot warmers in our shoes, and prepare the harness. Thankfully, all our water bottles are filled with a hot beverage. Just these basic preparations take us 40 minutes, and by 7:30 p.m., we are outside. The excitement is palpable despite the heavy down suits and masks separating us. Like astronauts on a spacewalk, we embrace each other and wish good luck. Soon... we're off!".

© Story and Photos: Guillaume Vallot - all rights reserved

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