Entraînement au chaos de l'Ice Fall
Dimanche 23 avril 2023
Pour ne pas finir KO dans le chaos des glaces de l'Ice Fall, on se prépare. l'Ice Fall kesako ? C'est une étroiture où le glacier, comprimé, plonge sur plusieurs centaines de dénivelé, exactement comme le rapide d'un torrent. Là où l'eau bouillonne et accélère, la glace en vient à la limite de sa plasticité. Elle rompt et se bouscule pêle-mêle en un amas de blocs qui peuvent atteindre la taille d'un immeuble. Or au pied de l'Everest, toutes les parois adjacentes sont gigantesques. Elles n'offrent aucune voie commode. Depuis les années 1950, les conquérants du toit du monde n'ont jamais trouvé meilleure option que de remonter directement dans cette effrayante chute de séracs : l'Ice Fall du Khumbu. Il faut donc se préparer à zigzaguer avec aisance dans ce terrain très particulier - et le plus vite possible - pour limiter le temps d'exposition aux éboulements imprévisibles de la glace.
À l'aise Blaise.
''Notre camp est situé en limite immédiate de la partie la plus blanche du glacier, se réjouit Maxime. Ce labyrinthe de pénitents (petites aiguilles de glace sculptée par le vent et le soleil), hauts de 10 à 20 m, offre un terrain de jeu absolument idéal à quelques mètres de nos tentes. Guillaume qui est un vétéran en escalade de glace, assiste nos Sherpas pour installer des ateliers de progression sur cordes. Même si je découvre l'utilisation de la poignée autobloquante surnommée ''jumar'' (d'après ses inventeurs), mes expériences passées dans les Alpes s'avèrent déterminantes et je me sens tout de suite très à l'aise sur ce terrain. Tandis que les sherpas ont tendance à bourriner avec leurs puissantes épaules, j'applique pour ma part une technique plus économique basée sur l'endurance de mes jambes. La poignée, la corde et mes bras ne servent qu'à m'équilibrer.''
Funambulisme métallique.
Vient ensuite l'exercice le plus étrange et le plus spectaculaire qui soit : franchir en crampons des échelles horizontales au-dessus du vide.
Pour passer l'obstacle d'immenses crevasses barrant le glacier de part en part, les pionniers de l'Everest comprirent que le moyen le plus léger, le plus astucieux, était d'apposer de grandes échelles en aluminium.
''L'angoisse, raconte Maxime, c'est au moment où tu poses ton crampon pour la première fois entre deux échelons. Les dents métalliques vont-elles s'y coincer ? Faut-il présenter d'abord les dents avant ou les dents arrière ? Rien n'est naturel dans ce moment de funambulisme métallique... Ça faisait longtemps que Guillaume m'en parlait, il disait qu'il avait une technique ''spéciale'', héritée des Sherpas et de son expérience de 2002. N'ayant vu aucune autre équipe s'entraîner au franchissement des échelles, je me demande vraiment de quoi il retourne. Le problème, c'est que l'échelle est bordée de deux cordes lâches qui sont censées retenir une chute mais qui ne donnent aucun point d'appuis solide. Construisant un atelier qui singe parfaitement la situation réelle, le vide en moins, Guillaume me montre comment, en se penchant en avant, les bras tendus en arrière, la corde procure soudainement un point d'appui remarquable. J'essaye. Le miracle se produit. Je sens comme une rambarde solide à la place des cordes toutes molles... Il n'y aura plus qu'à oser appliquer la technique au-dessus d'un vide de 80 m !''
Des éléphants dans un magasin...
''3ème et dernier exercice, nous partons évoluer encordés au milieu des structures glacées. Un peu comme nous l'avions fait dans les Alpes sur des arêtes aériennes. Cette fois, tout est réduit à l'échelle lilliputienne. De petites aiguilles effilées dévoilent leurs parois d'un bleu lumineux. Des piscines gelées recouvertes de neige accueillent des stalactites fragiles derrière lesquels nous nous amusons à nous faufiler comme des éléphants dans un magasin de porcelaine...''
Au bling bling cristallin de la glace qui se fracasse, répond soudain le blong blong sourd d'une louche sur une casserole. Kantcha, notre truculent aide de camp, sonne la fin de la récréation : le déjeuner est prêt et il n'aime pas, mais alors pas du tout, qu'on le laisse refroidir !
© Récit : Guillaume Vallot - Photos : Guillaume Vallot - droits réservés
Ice Fall Chaos Training
Sunday April 23, 2023
To avoid being knocked out in the chaos of the Ice Fall, we prepare ourselves. What is the Ice Fall ? It's a narrow passage where the compressed glacier drops over several hundred meters, exactly like the rapids of a river. Where the water boils and accelerates, the ice reaches the limit of its plasticity. It breaks and jostles in a jumble of blocks that can reach the size of a building. However, at the foot of Everest, all the adjacent walls are gigantic. They offer no convenient passage. Since the 1950s, conquerors of the roof of the world have never found a better option than to go straight up this frightening icefall of seracs: the Khumbu Ice Fall. Therefore, one must prepare to zigzag with ease in this very particular terrain - and as quickly as possible - to limit the exposure time to unpredictable ice avalanches.
Easy !
"Our camp is located right on the edge of the whitest part of the glacier," Maxime rejoices. "This labyrinth of penitents (small ice needles sculpted by wind and sun), 10 to 20 meters high, offers an absolutely ideal playground just a few meters from our tents. Guillaume, who is a veteran in ice climbing, assists our Sherpas in setting up rope progression workshops. Even though I am discovering the use of the self-locking handle nicknamed "jumar" (after its inventors), my past experiences in the Alps are decisive, and I immediately feel very comfortable on this terrain. While the sherpas tend to brute force with their powerful shoulders, I, on the other hand, apply a more economical technique based on the endurance of my legs. The handle, rope, and my arms only serve to balance myself."
Metal tightrope walking.
Next comes the most bizarre and spectacular exercise of all: crossing horizontal ladders over the void while wearing crampons.
To pass the obstacle of immense crevasses that block the glacier from one side to the other, the pioneers of Everest understood that the lightest and most ingenious way was to affix large aluminum ladders.
"The anxiety," says Maxime, "comes when you place your crampon for the first time between two rungs. Will the metal teeth get stuck? Should you present the front teeth or the back teeth first? Nothing feels natural in this moment of metal tightrope walking... Guillaume had been talking to me about it for a long time, saying that he had a "special" technique, inherited from the Sherpas and his experience in 2002. Having seen no other team training to cross the ladders, I really wonder what it's all about. The problem is that the ladder is bordered by two loose ropes that are supposed to catch a fall but provide no solid footholds. Building a workshop that perfectly mimics the real situation, minus the void, Guillaume shows me how, by leaning forward with arms stretched backwards, the rope suddenly provides a remarkable foothold. I try it. The miracle happens. I feel like there's a solid railing instead of the flimsy ropes... All that's left is to dare to apply the technique over an 80-meter void!"
Elephants in a store...
''For our 3rd and final exercise, we move forward roped up in the middle of the icy structures. It's a bit like what we did in the Alps on airy ridges. This time, everything is reduced to a Lilliputian scale. Small pointed needles reveal their walls of luminous blue. Frozen pools covered in snow welcome fragile stalactites behind which we have fun wriggling like elephants in a porcelain store...''
The crystalline bling-bling of shattering ice is suddenly answered by the dull blong-blong of a ladle on a saucepan. Kantcha, our colorful camp helper, rings the end of the recess: lunch is ready, and it doesn't like it, not one bit, when we let it get cold!
© Text and photos : Guillaume Vallot - rights reserved