Pumori & Kalapatar : caillasses et paillasse
Mardi 25 au Jeudi 27 avril 2023
La vie au camp de base c'est un peu comme se préparer à tenir un long siège... Ou, pour prendre une image plus saline, comme tenir un mauvais mouillage. Maxime nous explique pourquoi. ''Il y a une alternance de courts moments d'action et de longues séquences d'attente. En préparant le projet, nous avions souvent abordé cet aspect. Il me semblait sincèrement et je le crois toujours que mon expérience des longues navigations en solitaire me rendrait apte à cette vie semi-oisive d'altitude. Une expédition sur un 8 000, c'est tout sauf un sprint, un chrono du Défi Azimut. Ça ressemble beaucoup plus à un Vendée Globe.
Tout simplement parce qu'il faut plus d'un mois à la physiologie humaine pour atteindre son maximum d'hématocrites, de globules rouges dans le sang. Temps qu'il faut aussi aux équipes sherpas pour préparer la montagne, installer les cordes fixes, monter les 3 camps, la nourriture, les tentes, etc.
Le temps, c'est des globules.
On peut, comme certains le font, anticiper cette acclimatation physiologique plusieurs semaines en amont, à la maison. Soit en dormant dans une petite tente où il manque artificiellement de l'oxygène, soit en portant un masque qui place lui aussi le sujet en situation d'hypoxie, comme, a-t-on appris, l'a fait Kilian Jornet qui croise dans les parages. La solution traditionnelle, celle que nous avons choisie - et la plus sûre du point de vue de la sécurité, est de faire ça naturellement, au cours du voyage, en prenant son temps et en montant progressivement. Le problème, c'est qu'à l'Everest, on finit par buter au camp de base, au pied de la montagne, à 5 300 m. Or, il ne suffit pas de passer beaucoup de temps à 5 000 pour s'acclimater à 8 000... Même avec l'usage de l'oxygène en bouteille qui nous ramènerait artificiellement 1 000 ou 1 500 m plus bas, il nous faut tout de même nous préparer à évoluer, avec aisance et sans aide extérieure, à plus de 7000 m.
Théories de l'acclimatation.
Tout un tas de théories de l'acclimatation circulent, plus ou moins scientifiques ou empiriques, sur la meilleure manière de s'y prendre pour maximiser les globules rouges sans trop dégrader son corps. Car, oui, toute acclimatation est un stress. Une dette qui devra être payée tôt ou tard. Certains, comme Guillaume qui a une longue culture d'alpinisme, voudraient s'acclimater comme s'ils ne prenaient pas d'oxygène afin d'avoir une énorme marge au moment d'en prendre. C'est la garantie de plus de plaisir, de plus de lucidité et de plus de sécurité dit-il. Il passerait bien une semaine entière à 6 400 mètres au camp 2 et irait bien dormir une nuit au Camp 3 à 7 300 mètres...
Mais notre équipe de Sherpas expérimentés (une quinzaine de sommet de l'Everest à eux 4), n'est pas tout à fait de cet avis et, en ce qui me concerne, c'est plutôt à celui-là que je me range. Comme, de toute les façons, il est prévu de respirer de l'oxygène continuellement au-dessus de 7 000 m, il ne servirait à rien de prendre le risque de dégrader notre corps en restant trop longtemps en phase préparatoire en haute altitude. L'usage sur l'Everest consiste donc plutôt à ne dormir que 3 ou 4 nuits à 6 400 m et à se hisser brièvement à 7 000 m, sans y dormir... Je pense que c'est le compromis vers lequel nous allons nous diriger dès la semaine prochaine dès que la météo le permettra.
Quant à Guillaume, je le soupçonne d'aimer tellement la haute altitude qu'il trouve le moindre prétexte pour y trainer ses guêtres. Bref, toutes ces questions nous passionnent et occupent de longs débats, emmitoufflés dans nos doudounes.
Caillasse à gogo.
En attendant cette fameuse ''rotation d'acclimatation'', comme on l'appelle dans le jargon du camp de base, nous partons gravir ce qui s'offre dans le coin sans danger, c'est à dire sans glacier. Après le Lobuche, nous sommes montés sous la neige au camp de base avancé du Pumori (5 750 m) qui fait exactement face à l'Everest.
Enfin, suite à une nouvelle journée de repos, ce fut le tour du Kalapatar, 5 644 m, éminence caillouteuse très connue des trekkers car offrant un imprenable point de vue sur l'Everest.
Depuis quelques jours, je souffrais d'une toux sèche, une espèce de bronchopathie irritante assez caractéristiques de l'altitude et associée à un rhume tenace par dessus le marché. Je dormais moins bien et j'ai bien vu, lors de ces deux marches plutôt faciles que j'étais atteint dans mon endurance. En trois mots, j'en ai chié, grave. Grâce aux conseils de Dokever, une agence de télémedecine d'urgence, j'ai fini par prendre le dessus grâce à un traitement flash de corticoïdes. Moi qui ne prend jamais de médicaments, ça m'a fait tout drôle ! Mais bon, je vous rassure, ça a duré trois jours et j'ai depuis retrouvé le sommeil et la patate.
En résumé, l'Everest c'est à la fois un moment d'entraînement et de préparation du corps et à la fois un combat permanent pour rester en bonne santé et éviter les avaries.
C'est un peu comme rester à un mauvais mouillage : on a beau ne pas naviguer, on peut toujours casser des choses à bord !''
© Récit et Photos : Guillaume Vallot - droits réservés
Tuesday 25th to Thursday 27th, 2023
Life at base camp is a bit like preparing for a long siege... Or, to use a more salty expression, like holding a bad anchorage. Maxime explains why. "There is an alternation of short moments of action and long sequences of waiting. When we were preparing for the project, we often discussed this aspect. I sincerely believed, and still do, that my experience of long solo sailing would make me capable of this semi-leisurely altitude life. An expedition on an 8,000-meter peak is anything but a sprint, a Challenge Azimuth time trial. It's much more like a Vendée Globe."
Time is made of blood cells.
As some people do, we can anticipate this physiological acclimatization several weeks in advance, at home. This can be done by sleeping in a small tent with artificially reduced oxygen, or by wearing a mask that also puts the subject in a hypoxic situation, as we learned that Kilian Jornet did nearby. The traditional solution, which we have chosen - and which is the safest from a security point of view - is to do it naturally during the journey, taking our time and gradually climbing. The problem is that on Everest, we eventually hit base camp at the foot of the mountain, at 5,300 meters. However, spending a lot of time at 5,000 meters is not enough to acclimatize to 8,000 meters... Even with the use of bottled oxygen, which would artificially bring us down 1,000 or 1,500 meters, we still need to prepare ourselves to move, with ease and without external assistance, above 7,000 meters.
Acclimatization theories.
There are a lot of acclimatization theories circulating, more or less scientific or empirical, on the best way to maximize red blood cells without too much damage to the body. Because, yes, all acclimatization is stress. A debt that will have to be paid sooner or later. Some, like Guillaume, who has a long history of mountaineering, would like to acclimatize as if they were not taking oxygen in order to have a huge margin when they do. This is the guarantee of more pleasure, more clarity, and more safety, he says. He would happily spend a whole week at 6,400 meters at camp 2 and even sleep a night at camp 3 at 7,300 meters...
But our team of experienced Sherpas (with 15 Everest summits among the four of them) doesn't quite agree, and I tend to side with them. Since we will be continuously breathing oxygen above 7,000 meters anyway, there is no point in risking damaging our bodies by staying too long in the preparatory phase at high altitude. The approach on Everest is therefore rather to sleep only 3 or 4 nights at 6,400 meters and briefly ascend to 7,000 meters without sleeping there... I think that's the compromise we'll be moving towards next week as soon as the weather allows.
As for Guillaume, I suspect he loves high altitude so much that he finds any excuse to be up there. In any case, all these questions fascinate us and occupy long debates, bundled up in our down jackets.
Rocks party !
While waiting for the famous "acclimatization rotation," as it's called in base camp jargon, we're climbing what's available in the area without danger, meaning without a glacier. After Lobuche, we hiked up through the snow to the advanced base camp of Pumori (5,750m), which faces Everest directly.
Finally, after another rest day, it was time for Kalapatar, a rocky peak at 5,644m, well-known to trekkers for its unbeatable view of Everest.
For the past few days, I had been suffering from a dry cough, a kind of irritating bronchopathy that is quite characteristic of altitude, and was compounded by a persistent cold on top of that. I was sleeping less well, and during these two relatively easy hikes, I could clearly feel that my endurance was affected. In three words, it was tough. Thanks to the advice of Dokever, an emergency telemedicine agency, I finally managed to overcome it with a quick course of corticosteroids. It was strange for me, as I never take medication! But don't worry, it only lasted three days, and I've since regained my sleep and energy.
In summary, climbing Everest is both a time for training and preparing the body, and a constant battle to stay healthy and avoid mishaps.
It's a bit like being anchored in a bad spot: even if you're not sailing, things can still break on board !
© Text and photos : Guillaume Vallot - rights reserved