L’ascension du Lobuche Est : premier 6000 m !

''Une petite expédition dans l'expédition''

Mardi 18 avril 2023

Le troisième jour au camp de base.

Après avoir consciencieusement fait nos sacs la veille, nous nous mettons en route pour une grosse journée de marche devant nous mener au camp de base du pic Lobuche. Lobuche, Lobuche... ? Ce mot doit faire écho à celles et ceux qui nous suivent. Le hameau éponyme était en effet notre dernière étape de trekking, il y a à peine cinq jours. Mais alors, pourquoi quitter déjà le camp de base ?

''La raison est simple, explique Maxime. Autour de l'Everest proprement dite, il n'y a qu'un cirque de parois extrêmement raides et exposées : Pumori, Lingtren, Nuptse. La seule issue pour gagner de l'altitude et s'acclimater au palier de 6 000 m, c'est soit de remonter la si redoutée cascade de glace. Soit de repartir vers l'aval pour trouver un ''petit'' sommet plus accessible.'' 

C'est ce que nous faisons avec le Lobuche Est dont l'antecime culmine à plus de 6 000 m.

Pourquoi gravir le Lobuche ?

''Les avantages à tenter le Lobuche Est plutôt que de remonter la cascade de glace et aller dormir au camp 1, sont nombreux. Le premier est d'abord la sécurité, poursuit Max. La ''cascade de glace'', première marche de l'Everest est une immense chute de séracs où il ne fait jamais bon trainer ses guêtres. En allant gravir et dormir sous le sommet d'une cime adjacente et sans risque, nous nous épargnons un aller-retour dans le coupe-gorge de l'Ice Fall.''

Autre excellente motivation, la voie normale du Lobuche mène, paraît-il, au plus splendide panorama du secteur.

Nous voilà donc en train descendre le parcours que nous avions péniblement gravi quelques jours auparavant. Au village, après une soupe à la tomate savonneuse, nous prenons la tangente dans les immenses moraines latérales qui soutiennent le Lobuche.

''Au-dessus de nous, parfaitement visible depuis le sentier, sa paroi nord est verticale, glacée, inenvisageable. Tout à gauche, deux petites corniches bosselées, indiquent notre objectif. Mais comment croire, comment espérer que demain matin nous puissions nous y hisser ?'' S'interroge, impressionné, le marin. 

Un raccourci dans un mystérieux chaos de blocs noirs puis une falaise rocheuse équipée de corde fixes, nous mène en 5 heures à un col où s'étalent des tentes jaunes : le camp de base avancé. Nous y passons la nuit en compagnie d'une cinquantaine d'impétrants. Certains sont, comme nous, des candidats à l'Everest qui viennent chercher là un terrain d'acclimatation favorable. Mais les plus nombreux sont de simples trekkers, marcheurs sans grande expérience alpine. Vers 18h, au souper, devant un dhal bat fumant, Omar, un Libanais, nous avoue en riant avoir loué au village d'en dessous du matériel dont il n'a aucune idée de l'usage. Il compte entièrement sur son Sherpa et guide pour l'emmener sans accroc au sommet...

À nos côtés aussi, un jeune couple de chirurgien et anesthésiste parisiens avec qui nous menons une passionnante discussion sur le mal aigu des montagnes, ses croyances et les médicaments qui permettent d'y faire face (au MAM et aux croyances).

Nous comprenons vite que la plupart des candidats au sommet vont se lever entre minuit et 1h du matin. Avec notre départ prévu à 4h, nous faisons encore une fois figure de cancres de la pente... Notre stratégie est toutefois très différente puisque nous allons monter, pour une nuit, tentes et nourriture juste sous le sommet. Ceci nous retire la pression d'une arrivée sommitale précoce mais rajoute le poids du bivouac. ''Traitre, tu m'avais promis que nos sacs ne dépasseraient pas les 10 kg et là, avec la bouffe, le réchaud et le duvet, on est bien à 15 !'' reproche Maxime à son tacticien. ''C'est une ascension hybride entre alpinisme et himalayisme... Tu vas voir le jeu en vaut la chandelle !'' argue-t-il.

Mercredi 19 avril 2023

Record d'altitude. 

En plus d'une nuit perchée, notre objectif est de tester le matériel de l'Everest en condition réelle. Comme par exemple, ces grosses chaussures spéciales, si pataudes mais si chaudes... C'est donc d'un pas très hésitant que nous nous retrouvons à suivre nos deux Sherpas, à la frontale, dans des dalles moutonnées parsemées de coulures de verglas. Bientôt, le granite zébré cède le terrain à de bonnes langues de neige, la nuit claire à une aube parfaite. 

'' Très loin, très haut au-dessus de nos têtes, une ribambelle de frontales s'éteignent au fur et à mesure que pointe le jour. Elles nous indiquent le chemin. Sur la neige dure et la pente qui se raidit, je regarde Guillaume. Dans les Alpes j'ai l'impression que nous serions déjà passés en crampons. Aussitôt dit aussitôt fait sous l'oeil curieux des Sherpas qui n'en voient pas l'intérêt. Pourtant, j'accélère soudainement, le pied bien plus sûr.''

High Camp !

Soudain, au détour d'une falaise et d'une vire, un replat de neige suspendu, un nid d'aigle idéal. '' High camp ! '' s'écrie Furi, notre second Sherpa. Pour nous, c'est la libération de ces kilos qui comptent double à 5 700 m. En quelques instants, nos deux guides ont monté une première tente, puis une seconde. Dans l'une, nous jetons avec joie tout ce qui sera inutile pour les 400 derniers mètres d'ascension. Dans l'autre, nous faisons fondre de la neige afin d'avaler un bouillon bouillant. ''C'est la potion magique de l'altitude et de l'effort'', nous a répété Patrick, notre médecin. Cette pause a aussi pour but de donner du temps de récup à Julien, le caméraman qui, épuisé, semble payer les efforts répétés d'une semaine de trekking. Il n'a aucun signe de mal des montagnes mais seulement une immense fatigue.

''En sirotant le jus goûtu, je lève le nez vers ce qui nous attend, salive Max. Dans les sections techniques et raides, juste sous le sommet, une queue s'est formée. D'où je me trouve, elle paraît totalement immobile.'' En effet ces passages où, dans les Alpes, il n'y aurait pas de cordes fixes, sont équipés, ouvrant l'accès aux débutants. Les moins compétents s'y cramponnent désespérément, à la montée comme à la descente, ralentissant démesurément le trafic.

Pas stressés par le timing ni par la météo qui se maintient au grand beau, nous attendons au chaud que la foule s'éloigne. 8h30. Nous décollons enfin. Maxime a le mors aux dents, Julien n'y crois pas trop. Un premier mur glacé bordé de stalactites bleutés et déjà Maxime disparaît derrière une bosse. ''J'avais la frite et, depuis la première vision du Lobuche il y a presque une semaine, l'envie d'y aller. Nous y étions enfin !''

Savoir s'écouter.

Derrière en revanche, Julien cale. Sagement, il décide de retourner à notre ''high camp'' se reposer. Après tout, l'objectif principal de l'opération est de dormir en altitude, pas nécessairement de franchir la barre des 6 000. Au-dessus, Maxime cavale. À 250 m/h, le sommet est vite en vue. 'En vingt fois, je n'avais jamais fait le Lobuche aussi vite'', dira plus tard Ningma, notre Sirdar. Une dernière arête, des drapeaux de prières et c'est l'antécime à 6 080 m selon l'altimètre. Tout sommet contient sa récompense. Celle-ci prend forme d'un record d'altitude (le précédent étaient les 5 895 m du Kilimandjaro). Et d'un hallucinant point de vue sur l'Himalaya. À 280 degrés, nous admirons quatre des plus hauts sommets du Globe. Everest, Lhotse, Makalu et Cho Oyu semblent fixer Maxime dans l'éther comme pour dire ''c'est quoi la suite ?!''.

Nuit stroboscopique.

La suite, dans l'immédiat, c'est une descente expresse le long des cordes fixes. Un excellent exercice préparatoire à l'Everest. Puis une nuit difficile car à une altitude nouvelle. À l'ouest sur le Makalu, un orage électrostatique fait scintiller les nuages comme un stroboscope. Un genre de boîte de nuit silencieuse.

''En Mer, on peut voir ce genre de choses, commente Maxime sorti assister au spectacle, en général ça indique un air instable.'' C'est là qu'il est bon d'avoir un routeur météo de toute confiance et de ne pas prendre peur. Avec Yan Giezendanner, nous pouvons nous rendormir sur nos deux oreilles... Et, des souvenirs plein les mirettes, tenter de fermer l'œil, malgré les inévitables maux de crâne.

© Récit - Photos : Guillaume Vallot - droits réservés

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Everest Base Camp : première victoire !